Dans le chapitre précédent, on a vu la première arme à avoir : avoir de sources solides.
Passons maintenant à la deuxième arme : les réflexes d’esprit critique à avoir avant la lecture d’un article.
Dans les chapitres 9 et 10, on verra l’esprit critique qu’il faut avoir à la lecture d’articles. Pour l’instant, on s’intéresse aux réflexes de base “pré-lecture”, qui ont pour objectif de répondre à ces deux questions :
quelle est la nature de l'article ? (est-ce qu’il nous informe, ou est-ce qu’il essaie de nous convaincre ?)
quelle est sa coloration / son angle ?
Et pour faire ça, on va apprendre à analyser, méthodiquement :
1) La source (et trouver rapidement sa coloration)
2) La nature de l’article (factuel ? Analyse ? Opinion ?)
3) L’auteur (Qui est-il ? D’où parle-t-il ?)
4) Le titre (et son angle / parti-pris)
Alors rassurez-vous, on ne vous demandera pas d’analyser ces 4 éléments avant de lire chaque article. Mais vous verrez qu’avec un peu d’entraînement, un ou deux de ces éléments vous donneront en l’espace de 5 ou 10 secondes l’angle d’un article, sa coloration, et vous n’aurez même plus à faire d’efforts pour remettre en cause ce que vous lirez : ça se fera tout seul.
Mieux, ça deviendra un instinct.
Nous, quand on ouvre un Marianne, on sait que c’est un journal de laïcards, et qu’on va y trouver des articles comme ça :
Et donc on se méfiera de leur parti-pris. Alors, que le même jour, dans le Figaro, on va trouver ça :
Et on se méfiera de leur parti-pris également.
On sait que quand un article est signé
il va attaquer les riches, les puissants, les médias, et on sait que ce sera fait avec ironie.
Comme ça. Et on lui mettra un filtre de gauche.
Inversement, on sait qu’en lisant l’Opinion, ou des éditos signés
On sait qu’on trouvera ce genre de titres
Et l’orientation politique libérale qui va avec. Et quand on lira son édito, on lui mettra le filtre de droite.
Bref.
Pourquoi vous dit-on ça ? Parce qu’avec un peu de pratique, vous aurez les mêmes réflexes que nous.
1) vous saurez quoi trouver et où
2) quand vous tomberez sur quelque chose que vous ne connaissez pas, vous aurez les réflexes pour les digérer très vite et vous les approprier (ou les rejeter, selon).
En scelle donc pour voir les 4 réflexes à avoir avant la lecture de chaque article.
Première chose à faire quand on lit un article : regarder la source et tenter de voir 1) si on peut lui faire confiance sur les faits 2) son orientation politique.
On met entre parenthèse la question de la confiance sur les faits pour l’instant, on y reviendra au chapitre 9.
Parlons donc de la coloration politique dans un premier temps. Evidemment, pour un certain nombre d’entre elles, vous la connaissez (normalement, vous savez que le Figaro, c’est plutôt de droite, et l’Obs, plutôt à gauche). On vous a fait une liste exhaustive des orientations politiques ici, pour débroussailler, mais elle est subjective et discutable, à vous de faire votre opinion.
Ce qui nous intéresse dans ce chapitre, c’est les réflexes à avoir quand on ne connaît pas la source. Voyons la méthodo ensemble, avec deux titres que vous connaissez peut-être : Regards, et Boulevard Voltaire.
NB : on ne compare pas les deux journaux, on ne les met pas sur un pied d’égalité. Il s’agit simplement de deux exemples qu’on trouve parlants.
Quel est leur point de vue ? D’où partent-t-ils ? (qu’on puisse mettre “en contexte” lors de la lecture de l’article)
Premier endroit où chercher : Google.
Première info : il s’agit d’un journal engagé, et c’est eux qui le disent. C’est une info importante : ils reconnaissent eux même que leur contenu est orienté.
Continuons. Sur la droite de notre ranking Google, un encart Wikipedia.
Qui nous en dit un peu plus. C’est engagé, et c’est engagé à gauche. Mais “gauche” est un terme vague, ça va de Lutte Ouvrière à François Hollande (paraît-il).
2e endroit où chercher : les rubriques du site.
Qui ne nous aide pas vraiment. “Politique”, “Société”, “Monde”, c’est très général, et nous donne rien de la couleur politique. L’idée, pour trouver l’orientation politique, c’est de trouver des marqueurs politiques forts. S’il y avait un “6e République” (idée ancrée à gauche), ou “Solidarité”, on aurait pu sentir une orientation, mais là, rien. Continuons.
3e endroit où chercher : page “A propos” ou “About” ou “Qui sommes-nous”
On ne trouve pas de page “A propos”, par contre, on trouve le comité de rédaction. Et en deuxième position :
Coucou la France Insoumise !
A cette étape, on peut supposer plus clairement l’orientation politique du journal, et pour cause : une membre éminente du parti de Jean-Luc Mélenchon est co-directrice de la publication. Mais continuons à jouer le jeu.
4e endroit où chercher : la titraille ! (tiens, la revoilà)
Il suffit de regarder les sujets pour se rendre compte de l’orientation franchement à gauche :
Mais notre oeil aurait pu être attiré par d’autres choses encore. Par exemple, par le nom de certains contributeurs :
Rokhaya Diallo, militante associative antiraciste et féministe. (on vous laisse voir tout ça - wikipedia)
Vous voyez les différentes manières qu’on a de “flairer” l’orientation politique d’un média. Evidemment, pas la peine de faire les 4 étapes. Mais c’est un bon fil conducteur.
Prenons notre deuxième exemple : Boulevard Voltaire
Même méthodo.
1) Google
Pour l’instant, rien.
Encart Wikipedia sur la droite :
Tiens, “fréquemment classé à l’extrême droite”. C’est une info intéressante (on se doute bien que si Wikipedia dit ça, ce ne sont pas des communistes). Mais 1) il faut se méfier du qualificatif “extrême-droite”, 2) on ne sait pas qui a écrit l’article Wiki 3) ne préjugeons pas, prenons l’info et continuons à chercher.
2) les titres / rubriques
“Politique”, “Société”, en 3e position “Immigration”. Avant l’économie, ça en dit long. (A notre avis, au repaire, le simple fait d’avoir une rubrique “Immigration”, que nous considérons être un sujet parmi les autres -la fiscalité, le mode de scrutin, la réforme du bac pour en citer 3 parmi 1000-, est déjà révélateur de quelque chose. N’en tirons pas trop de conclusions pour l’instant. Observons, et disons-nous que c’est intéressant :)
3) Page "About"
Là, ça devient compliqué. Parce qu’on signerait volontiers. Mais on voit que celui qui a signé est Robert Ménard, qu’on ne présente plus. Conclusion : la page A propos ne nous aide pas, sinon à reprendre l’étiquette politique de son fondateur. Continuons donc de faire semblant de ne pas savoir.
4) Titraille rapide
Capture d’écran faite le 16/08/2018
Sur 8 sujets, 6 sont sur les musulmans ou les migrants (et l’affaire des croix détruites...serait-ce un septième ?)
Bon, là, on ne tortille plus, on est tombé en plein dans la fachosphère.
D’ailleurs, on peut continuer à trouver la trace de lutte contre “l’ignorance, le fanatisme et la sottise”, comme ils disent, en scrollant un peu ailleurs sur le site :
Conclusion : la titraille reste encore le meilleur moyen de connaître l’orientation politique d’un média. Comme disait un prophète il y a 2000 ans : on reconnaît l’arbre à ses fruits.
Petite parenthèse : on aimerait pouvoir ignorer Boulevard Voltaire. Le mot de Cambronne ne suffirait pas pour décrire l’estime dans laquelle nous tenons leur bouillie intellectuelle. Malgré le beau clin d’oeil aux Lumières (qui n’en demandaient pas tant), on laisse chacun juger s’il est digne d’y passer ne seraient-ce que trois minutes de sa vie.
Le problème c’est que Boulevard Voltaire, c’est
Ce qui commence à faire (beaucoup) de monde. Il faut donc déconstruire. Fermons la parenthèse.
Récapitulons
Mais on pourrait ajouter d’autres éléments qui en disent long (et là on sort un peu de l’analyse pour faire appel à votre instinct, nos excuses) :
L’anonymat
Sauf exception (Maître Eolas par exemple, mais il explique pourquoi il le fait), ça doit vous faire tiquer. Ce n’est pas forcément à jeter, mais on peut commencer à se méfier.
L’insulte, et la grossierté de manière générale
Une insulte et vous êtes sûrs d’être dans du contenu parti-pris de droite ou de gauche (et la plupart du temps très médiocre) (i.e. ne vous fatiguez pas, il y a mieux ailleurs)
Des mots comme “réinformation”, qu’on trouve chez les russes et les complotistes essentiellement (même chose, on n’a pas le temps)
Bref. Premier réflexe à avoir : savoir la couleur ou l’orientation du média que vous lisez. Avec le temps vous les connaîtrez bien, pour l’instant, entraînez votre oeil à aller regarder ces différents éléments.
Essayez, avec la méthode employée ci-dessus, de voir l’orientation politique des médias suivants :
Riposte Laïque
Réseau international.net
Politis
Riposte laïque
Même lignée que Boulevard Voltaire, sans doute le niveau d’au-dessus en termes d’intolérance et de bêtise. Confiance : 0. Orientation politique : difficile à dire, mais le FN est clairement à gauche à côté.
On s’embête même pas à aller sur la page A propos, le premier article qu’on voit apparaître en ouvrant leur page, c’est :
Autre exemple d’articles, plus bas, tout en nuance :
Bref. Exit.
ps : n’allez pas croire qu’il s’agit de sites résiduels. Ce sont des articles à 30 000 clics, c’est beaucoup !
Réseau international
Pour nous, à ne pas prendre au sérieux, ça nous a l’air bien complotiste. Orientation politique : compliqué de dire d’extrême-droite, mais on doit pas être bien loin.
Indice 1 :
Ensuite, les rubriques :
“Ils osent tout”, “Mensonges et manipulations”...bon, c’est pas sérieux quoi.
Page A propos : signée par un certain Avic.
Et comme tout cela ne nous convainc pas, allons à la titraille :
Bon, comme on disait, on a du mal à voir une orientation politique, mais quand on a “l’immonde loi Schiappa” ou une bêtise de type “Theresa May veut autoriser les pédophiles à adopter”, on peut imaginer qu’il ne fait pas partie d’une association féministe ou de la ligue des droits de l’Homme.
Next.
Politis
Orientation politique : à gauche, tendance écolo. Si on devait se risquer à une diagnostic, on dirait en plein centre du triangle Verts-Hamon-Mélenchon.
Google :
Si on connaît Denis Sieffert, c’est bon. Sinon, Pouria Amirshahi était député socialiste sous François Hollande, parmi les “frondeurs” (et les 6 députés qui ont refusé de voter l’Etat d’urgence) : un type pas vraiment à droite.
Sinon, les rubriques et la titraille sont très parlantes :
Titraille :
Ou encore :
Diagnostic : c’est à gauche :)
Le dialectique
Pour en connaître la couleur politique, on vous propose la botte secrète : la page Facebook d'un journal.
Où on trouve ceci :
Nicolas Bay (député européen FN, ancien secrétaire général / vice-président du FN), Jordan Bardella (porte-parole du FN/RN), Royalistes de France (on ne vous fait pas de dessin).
Le dialectique est un petit journal (15 000 likes) créé par l’un des fondateurs de la section Front National de Sciences Po. On va dire plutôt à droite ?
Deuxième réflexe à avoir quand on a un article sous les yeux : quel est le type de contenu qu’on a sous le nez ? Est-ce qu’il s’agit d’un article purement factuel ? Ou est-ce que c’est une analyse, i.e., une interprétation des faits ? Ou encore, est-ce qu’il s’agit d’une opinion ?
Pourquoi entraîner son oeil à voir tout de suite la nature du contenu ? Parce que, pareil que la connaissance de l’orientation politique du journal, ça donne des repères dans la lecture.
Faisons très rapidement une parenthèse : les trois sont subjectifs. Même un article factuel, en évoquant certains faits et pas d’autres, ou en appuyant sur tel aspect et pas un autre, est déjà dans la subjectivité. Cette parenthèse pour vous dire (et on y reviendra en détail plus tard), l’objectivité journalistique, ça n’existe pas. Mais il y a quand même une gradation dans le niveau de subjectivité, et votre esprit critique doit tourner plus fort en lisant une opinion qu’une dépêche AFP.
Voyons donc les 3 différents types de contenus.
L'article factuel
Comme son nom l'indique, il fait état de faits.
Il s'est passé quelque chose, on vous le dit.
L'exemple le plus parlant sont les dépêches AFP. L’AFP (Agence France Presse) (ou Reuters ou tout autre agence de presse) a une info (ce sont eux qui ont les meilleurs réseaux à l’étranger), et les journaux les reprennent telles quelles ou quasiment.
Exemple, lorsque le chef de l’EI en Afghanistan a été tué :
Tout le monde reprend, en variant vaguement le titre. Mais généralement, aucun des journaux n’a plus d’infos qu’un autre (ils reprennent d’ailleurs les mêmes infos dans l’article :
LCI :
Le Point :
La Croix :
C’est purement factuel. Donc, quand vous voyez :
, ou
ou tout simplement
c’est factuel / informatif pur.
L'article factuel peut avoir deux "défauts".
1) il peut jeter des faits là, sans en interpréter le contexte. Exemple, l'article du Figaro cité plus haut. (Le Figaro, septembre 2018). Le problème étant que sans contexte, on peut avoir une vision très déformé de l'information.
2) Au contraire, que l'article factuel ne se limite pas 100% aux faits, mais en tire des conclusions qui sont politiquement orientées. Et il n'y a aucun problème à cela, c'est le jeu des médias. Juste, sachez garder un oeil ouvert quand vous lisez un article dit "factuel".
L’Analyse
Deuxième forme de contenu : l’analyse. L’analyse, c’est le niveau d’au dessus en terme d’esprit critique (et c’est ce qu’on aime pour nourrir nos connaissances dans le cadre d’une prep à un concours:). C’est une tentative d’expliquer les faits. Donc, forcément subjectif. Mais normalement, et on dit bien normalement, on est dans une logique “scientifique”, i.e., on essaie d’observer et comprendre. Parfois, ce sont des spécialistes qui parlent (chercheurs, journalistes spécialisés sur le sujet), ce qui peut paraître rassurant mais ne l’est pas toujours, parfois des profanes (et là, il vaut mieux faire carburer son esprit critique).
Prenons un exemple, en restant sur notre sujet Afghan, sur France Culture :
Certes, c'est un spécialiste chercheur à l’EHESS qui est interviewé. Donc, on l’écoute avec plus d’intérêt que madame Michu.
Mais on garde en tête le principal défaut de l'analyse, qui est de suivre, souvent, la vision du monde de son auteur. Et qui donc, peut être assez orientée. A charge pour vous de garder votre esprit critique en alerte.
L’Opinion
L’article qui donne une opinion (un éditorial, une tribune), c’est le niveau tout en haut en terme d’esprit critique. Le factuel veut vous informer, l’analyse veut expliquer et comprendre, l’opinion veut vous convaincre. A vous donc de prendre ce qu’il y a à prendre, et de laisser le reste :)
Reprenons notre exemple Afghan : (New-York Times, juin 2018)
C’est dans la “opinion column”, ça a un titre avec un pronom personnel, et c’est un politique, en l’occurrence le président afghan qui parle, vous vous doutez bien que le contenu ne sera ni factuel ni analytique.
Voilà donc les 3 catégories de contenu qu’il faut avoir en tête quand on se plonge dans un article. Evidemment, la difficulté n’est pas de les voir, vous les verrez. La difficulté est que souvent, ils se chevauchent. Un article factuel sera partiel, une analyse aura des morceaux d’opinion dedans. Voilà pourquoi il faut toujours être vigilant.
Maintenant, comment, concrètement, faire la différence entre ces 3 catégories de contenu ?
Parfois, c'est écrit. Evidemment, s’il y a écrit AFP ou autre, vous savez que factuel. Si elle s’appelle Analyse ou Editorial, vous savez à quoi vous en tenir.
Mais souvent, vous n'aurez pas ce genre d'indications. A notre sens, le meilleur moyen est dans ce cas est de se poser la question : est-ce que le titre essaie de me convaincre ? Le vocabulaire employé doit tout de suite vous mettre sur la piste.
Exemple de titre qui paraît plutôt factuel, vu dans le Monde :
Exemple de titre qui paraît plutôt d'analyse, vue dans Slate :
Exemple de titre qui paraît vraiment d'opinion (à propos de l'affaire Benalla) (et clairement, qui va taper sur Emmanuel Macron) :
Autre exemple, de gauche celui-là :
Même combat. (D’ailleurs, un titre avec un seul mot, c’est rarement informatif ou analytique:)
Et quand on regarde plus bas, on trouve ceci :
Le ton est donné.
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, vous verrez que souvent, ces trois catégories se chevauchent allègrement. Les articles factuels essaient souvent d'expliquer une chose ou deux, et les auteurs d'analyses ont souvent la facheuse tendance de laisser transparaître leur opinion. L'important, pour vous, consiste simplement à avoir l'oeil ouvert.
Inscris-toi pour accéder à ce contenu !
OK!Il faut s’inscrire au cours en ligne pour pouvoir s’inscrire au coaching.
Tu vois la base de ton côté, à ton rythme, tu commences à travailler, et on consacre notre temps ensemble à approfondir et à évoquer les problématiques qui te sont spécifiques. Gain de temps pour nous, gain d’argent pour toi.
La mise en commun des fichages, que ce soit pour les enjeux fichés ou les livres fichés, est réservée aux coachés du repaire ! Inscris-toi au cours en ligne de l'école & la procédure qui te convient pour y participer !
Oll Korrect