Beaucoup d’entre vous, en première et deuxième année, nous écrivent pour nous demander des idées de stage. Et souvent, on lit en filigrane une petite anxiété (qu’on connaît trop bien, on y est passés:)
Certains ont peur (peur de ne pas trouver ce qui leur convient, ou ne pas trouver du tout, peur de se tromper de cible, peur du refus, aussi, souvent), d’autres ne savent juste pas où chercher et comment faire. Le tout dans une ambiance de “il-faut-trouver-sa-voie-dans-la-vie”, idée super à la base, mais un peu anxiogène quand on doit trouver une réponse, là, tout de suite, à 20 ans.
On vous a donc dessiné un petit outil méthodologique (et quelques conseils au passage), destiné à vous faire poser les bonnes questions dans vos choix de stages.
Méthodo de choix de stage à l’attention de ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent
L’idée, c’est de cartographier ses envies et avoir une vue un peu plus d’ensemble. On l'avait fait pour trouver un début de projet professionnel à présenter au jury d'admission, cette fois on approfondit. Il suffit de se poser ces questions, pas forcément dans l’ordre d’ailleurs, pour voir un peu les contours de ce qui nous plairait. On prend donc un papier et un stylo (oui, toujours), et on se questionne en toute honnêteté.
Nouveau monde ou zone de confort ?
Premier questionnement simple : la géographie. Alors bien sûr dans le sens : est-ce que je reste en France ou est-ce que je regarde aussi les stages à l’étranger. Mais aussi et surtout sous un angle un peu différent : est-ce que je suis prêt.e à (ou est-ce que je souhaite, même) lâcher ma zone de confort ? I.e., un stage est déjà un monde nouveau, est-ce que je suis préparé.e à encaisser, en plus, le fait de ne pas avoir mes habitudes / les gens que j’aime autour de moi ? Une différence culturelle ? Ou même de ne pas avoir de fromage ? (allez donc faire un stage aux Etats-Unis, pour voir combien on y mange bien:). Et ce n’est pas évident pour tout le monde. Certains recherchent le fait d'être précipité dans une autre dimension, certains sont prêt.e.s à l’encaisser, d’autres se sentent plus rassuré.e.s d’être pas loin de ce qu’ils connaissent. Première question (assez facile) à se poser, donc. Et qui oriente votre recherche, évidemment.
Vous voulez changer le monde ou pas forcément ?
Deuxième question, un peu plus bizarre, mais qui a son sens. Il faut se demander ce qui est plus important pour vous : forcément faire quelque chose qui ait du "sens", ou tout simplement faire une nouvelle expérience. Certains d’entre vous ont besoin de faire un stage dans un milieu qui est “utile” : environnement, migrants, éducation ou autre. D’autres ont un spectre plus large, genre : analyse économique ou aller faire un stage à la commission européenne. D’autres encore ont un spectre ultra-large, et peuvent tout à fait faire un stage chez Monsanto ou British American Tobacco (et on va dire que les questions éthiques sont un peu plus flexibles dans ces milieux).
Il peut être bon de commencer par se poser la question du spectre “éthique” de ce qu’on cherche (on met vraiment de gros guillements, mais vous nous comprenez). En gros : est-ce que vous voulez à tout prix un stage dans un milieu qui est directement utile, genre Greenpeace, ou est-ce que le fait de rencontrer des gens super, d’être dans une équipe dynamique, d’apprendre des compétences organisationnelles, ou tout simplement faire une nouvelle expérience vous suffit. Auquel cas, vous pouvez élargir vos recherches beaucoup plus loin. (Et on vous prie de nous croire, il n’y a aucune obligation morale d’aller sauver les bébés phoques, chacun fait ce qu’il veut). (Après, un stage chez Monsanto...on est sûr qu’il y a des endroits plus sympas pour faire ses premières armes.)
Public, privé ou ONG ?
On n’est pas certains que ce point soit très important. Souvent, les Sciences Po, vous vous dites "public" ou "ONG", dans les écoles de commerce vous êtes beaucoup plus ouvert au privé. Cette remarque pour les Sciences Po donc : on peut tout à fait avoir des administrations ou des ONG dont les combats ne sont pas les plus exemplaires (coucou la commission européenne qui n’interdit pas les glyphosates) et des boîtes privées qui essaient de faire des choses chouettes (exemple pris au hasard : le repaire des étudiants). A moins de vouloir vraiment faire un stage dans tel ou tel secteur pour justifier une candidature par exemple (“j’ai vu la fonction publique, ce qui m’amène au master PP de Sciences Po”), ne réfléchissez pas forcément en termes de public/privé/ONG, c’est très poreux au final.
Mastodonte, PME ou Start-up ?
Size does matter. Vous faites un stage chez Google (80 000 employés), dans le QG d’une grosse ONG (quelques centaines) ou chez la start-up Schmoll (une dizaine), ce n’est pas la même ambiance, le même rapport aux gens, le même rapport à l’autorité et la chaîne de commandement, la même manière de travailler, ni les mêmes avantages. Cette question peut être importante pour certain.e.s d'entre vous.
Le secteur / l’activité
Evidemment, une des manières les plus directes d’empoigner son choix de stage : dans quel domaine ? ça peut être dans des secteurs très larges (Education, environnement, agriculture...) comme des domaines beaucoup plus précis (industrie nucléaire, réinsertion des prisonniers…). Surtout, il faut définir si vous êtes vraiment attaché.e.s à un ou plusieurs domaines, ou si vous êtes ouverts à d’autres choses.
Terrain ou Headquarters ?
Questionnement essentiel ensuite, et facile lui aussi : vous voulez un stage de bureau ou un stage terrain ? Evidemment, ce n’est pas pareil de faire un stage chez Médecins Sans Frontières dans leur HQ du 11e à Paris et dans un hôpital de campagne au Libéria.
L’activité au quotidien
Directement liée, la question de ce que vous allez faire concrètement. Parce que sinon vous ferez partie de ces cohortes de stagiaires qui sortent de leur expérience en ayant fait 3 mois d'Excel...contre leur gré. Evidemment, il n’y a pas que ça, heureusement. Mais demandez-vous où va votre préférence. L’interaction humaine, parler à des gens ? Du travail de recherche, intellectuel ?
Seul ou en équipe ?
Sous-question : vous préférez être autonome, avec une tâche à faire et quelqu’un qui vous supervise ? Ou vous préférez un travail d’équipe, où vous êtes mêlés à tout le monde (et à d’autres stagiaires) Alors de toute façon, vous aurez toujours une fonction subalterne (c’est un peu le principe du stage). Mais il y a des degrés d'autonomie.
Suivre quelqu’un ?
Mais on pourrait tout à fait imaginer d’autres manières d’empoigner votre choix de stage. Moi par exemple, j’ai une tendance à être fasciné par des personnes plus que par des sujets. Je serais donc beaucoup plus enclin à dire : je veux être stagiaire dans l’équipe de X ou Y, pour pouvoir côtoyer untel. Genre Richard Branson, François Rufin, ou, shoot for the stars, Michelle et Barack Obama à la Obama Foundation.
On pourrait continuer la liste de questionnements, mais on sent que c’est déjà bien pour vous faire mouliner.
Evidemment, il ne s’agit pas de trouver une réponse absolues à ces questions. Le but des stages est justement de vous aider à trouver des réponses ! Mon conseil donc : hiérarchisez ce qui est important pour vous.
Prenez chacun de ces questionnements (étranger ou France, taille de la structure, sauver le monde ou pas) et écrivez vos réponses à vous sur des petits morceaux de papier. Puis vous les classez par ordre d’importance. Exemple : Une fois que vous savez que ce qui est important c’est plutôt “sauver le monde”, plutôt terrain, plutôt l’éducation, demandez vous : est-ce que c’est plus important pour moi de sauver le monde, ou d’être sur le terrain ? Si vous deviez absolument choisir. Terrain. Ok, terrain en haut. Puis : est-ce que c’est plus important de sauver le monde, ou l’éducation ? Sauver le monde. Ok. Et puis vous comparez l’éducation au 4e, et ainsi de suite.
Ce classement, pour imparfait qu’il est, vous donnera une photographie intéressante de vos envies...et donc du stage à aller chercher.
Voilà pour la méthodo. Maintenant quelques conseils.
Quelques conseils pour relativiser dans son choix de stage
1) Personne ne vous oblige à rien.
Ce n’est pas parce que vous êtes à Sciences Po ou dans une école de commerce qu’il faut faire un truc dans les clous de Sciences Po ou d'une écolede commerce (les stages chiants chez E&Y parce que "prestigieux", merci). Si vous voulez faire un stage à Aéroports de Paris parce que vous êtes un gratté d’aviation, eh bien faites !
2) Ecoutez votre ventre.
Je ne rentre pas dans le débat, mais je ne peux pas m’empêcher de constater, avec le recul, que mon instinct fait un meilleur job pour savoir ce que je veux que ma tête raisonnable. C’est un peu comme être amoureux : vous ne savez pas trop pourquoi, mais c’est comme ça.
Conclusion temporaire : écoutez votre ventre (et votre coeur) (c’est, pour cet argument en tout cas, la même chose). Exemple : si on me demandait là tout de suite ce que je voudrais faire comme stage, j’irais faire du pilotage de brousse dans l’ouest canadien. Ne demandez pas pourquoi, c’est ma réponse d’enfant de 6 ans. Implications possibles : peut-être aller chercher dans les stages en lien avec l’aviation ? Des stages terrains ? Des stages au Canada, ou dans la nature ? Il faut écouter son ventre.
Autre exemple, par la négative : je vois une annonce d’un stage chez Goldman. Bien payé, prestigieux, et en plus intéressant. Et pourtant mon ventre me dit qu’un truc cloche. Il faut écouter ce truc qui cloche.
N’en restez pas à un questionnement intellectuel, du pour/contre ou du théorique. Ecoutez votre ventre. J’irais même dire : partez de votre ventre.
3) Pas d’autocensure
“Mais je suis en deuxième année ! Ils ne me prendront jamais !” Ah, l’éternel sujet.
Je n’ai que cette petite histoire de candidature spontanée en guise de réponse. J’espère qu’elle vous convaincra de postuler quand même. Dans le pire des cas, vous vous prendrez un non (et ça picotera votre égo, mais n’est-ce pas un bon entraînement, ça aussi ?)
4) Trompez-vous de stage !
Exemple personnel. Je me souviens du processus de recherche de stage à Sciences Po comme d’un truc pas marrant du tout. Je ne savais pas du tout quoi faire, où aller, et surtout, j’avais peur de me “tromper” et d’être à un endroit qui ne me convienne pas.
Au final, j’ai pas mal erré...
-un entretien chez l’ONG Utopia (ils m’ont rappelé pour me dire que j’étais trop qualifié) (sérieux ?)
-un entretien au ministère de la Culture (je suis sorti de là en me disant "mon dieu mon dieu jamais")
-un entretien au ministère de l’Outre-Mer (le mec m’a demandé de manière très bienveillante ce que je foutais là)
Je passe sur les détails, et finalement, j’ai longuement hésité entre la Commission des affaires culturelles et éducation à l’Assemblée Nationale et l’ambassade de France à Berlin. J’ai choisi Berlin.
...et je me suis “trompé”. Je suis tombé dans un monde très hierarchisé, très rigide, et, malchance, dans un service horrible où les gens ne se parlaient pas. Si vous ajoutez les -15°c et la nuit à 16h30 de l’hiver berlinois...déprime time.
N’empêche. Ce stage m’a guéri du fait de travailler
-dans les grosses structures de manière générale et la fonction publique en particulier
-dans les endroits où on doit plaire, faire de la politique et parfois se tirer la bourre
-dans tout endroit où les gens ne sont pas bienveillants
Vous imaginez un peu le gain que ça représente, de se rendre compte de ça quand on est encore étudiant ?
Tout ça pour dire : je me suis trompé...et ce n’est pas grave, ça a quand même été très utile. J’irai même plus loin : il n’y a qu’en faisant ce stage à la noix que je pouvais comprendre un peu plus ce que je voulais.
5) Foutez-vous la paix, un peu
Choisir “le bon stage” est bien sûr important, mais ne vous mettez pas trop la rate au court bouillon. Vous avez le temps de trouver “votre voie”. Je sais qu’on biberonne des exemples de tas de gens qui ont des parcours de dingue très très tôt, genre Steve Jobs ou Xavier Dolan (ou encore, regardez un peu ce que David Bowie avait fait à votre âge, c’est déprimant). Mais la vraie vie, c’est pas ça.
Exemple. Jack Ma, le patron d’Alibaba (sort de Zuckerberg chinois, mais en 100 fois plus intéressant), a compris qu’il voulait être entrepreneur à 40 ans passé ! Il a d’abord voulu être flic, rejeté, a voulu aller 10 fois à Harvard, 10 fois rejeté, a été prof d’anglais pendant quelques années, et ce n’est qu’au bout de plusieurs années de création d’entreprise qu’il dit avoir trouvé sa voie.
Autre exemple. Andreï Makine, un des (à mon sens) plus grands écrivains contemporains (et académicien, mais on s’en fiche), n’avait pas écrit une ligne de roman avant 33 ans (et encore moins en français) !
Vous croyez peut-être là qu’il s’agit de cas extrêmes, mais pas vraiment. Je lisais récemment dans Forbes que l’âge moyen du créateur d’entreprise qui marche un peu, c’est 42 ans.
Bref. Tout ça pour vous dire : vous avez le temps.
Ecoutez votre ventre, faites de votre mieux pour choisir, trompez-vous, tirez les leçons, affinez. Et vous aurez vite les pieds dans le bonheur.
Voilà un peu pour vous aider à trouver votre stage. Si vous avez des questions, un aspect que vous voulez qu’on traite, il y a les commentaires en dessous !