Ca y est, c'est décidé: vous voulez préparer les concours de Sciences Po l'année prochaine.

Vous êtes en fin de Première, et vous avez devant vous l'été pour commencer à vous préparer, anticipant une année de Terminale bien chargée.

Vous avez raison, mais permettez-nous de vous donner quelques conseils sur comment aborder cette période estivale (en même temps, si vous n'en vouliez pas, vous n'auriez pas cliqué sur cet article).

Le Lièvre et la Tortue

Avant tout chose, faisons un détour par l'athlétisme (et que les spécialistes nous pardonnent les largesses prises dans nos explications). 

En athlétisme, les deux efforts les plus opposés sont le sprint et le marathon. 

Dans un sprint, l'objectif est d'aller le plus vite, en vidant de manière très rapide ses ressources dans un effort brusque et violent, qui permet d'aller très vite (37,58km/h de moyenne pour Usain Bolt lors de son record du monde du 100m en 2009, avec une pointe à 44,72km/h). La contrepartie, c'est que cet effort épuise le corps, qui a besoin d'un temps de récupération complet et long, alors que le distance parcourue est peu importante (de 100m à 400m). 

En marathon, l'effort est tout autre. L'objectif est de maintenir une vitesse moyenne élevée mais sur le long terme (fiy, le record du monde est détenu depuis 2022 par Eliud Kipchoge en 2h1'39'', soit une vitesse moyenne 20,91 km/h).  Avec un peu d'entraînement, on peut donc fournir un effort long, permettant d'aller très loin, en fatiguant le corps progressivement, tout en se ménageant des moments de récupération, pour une distance bien plus importante que le sprint: certes, Eliud Kipchoge court deux fois moins vite que Usain Bolt, mais il est allé 420 fois plus loin que lui. 

La première erreur dans un marathon, ou tout effort d'endurance, c'est de partir trop fort, à cause de l'excitation, de griller ses cartouches dès le départ, et de ne pas tenir sur la durée. De partir sur une allure de sprint, en oubliant l'objectif: passer la ligne d'arrivée, et en garder suffisamment sous le pied pour pouvoir accélérer au besoin dans les derniers kilomètres. 

La préparation d'un concours ou d'un examen, c'est un marathon, pas un sprint, ni une succession de sprints (si vous ne vous y prenez pas au dernier moment, cela s'entend. Dans ce cas, c'est en effet un bon gros sprint). Il faut donc gérer son effort, ses ressources, son allure, pour ne pas s'épuiser dès les premiers kilomètres/semaines. Dans ce cas, on ira loin. Peut-être moins vite, mais loin.

Ainsi, l'erreur, pendant votre période de préparation estivale, serait de vouloir partir trop vite et trop fort (en allure sprint), au risque de vous épuiser avant même le début de la vraie préparation. Il faut se fixer le bon objectif: arriver frais et dispo jusqu'à la ligne d'arrivée, qui est lointaine. Laissons ici notre parallèle avec l'athlétisme. 

"Que faire ?" Lénine

L'été est donc l'occasion de commencer en douceur, sur les choses qui prennent du temps pour se mettre en place, et qui demandent un effort peu intense mais constant. A notre sens, ces choses sont l'introspection et le développement de la culture générale. 

"A vos intuitions vous fier, il faut" maître Yoda

L'introspection: cette étape, qui est souvent négligée dans la préparation, est pourtant fondamentale. Elle va déterminer votre pourquoi, qui est pourtant ce que recherchent les jurys de Sciences Po.

Il est souvent difficile, quand on a 16-17 ans, de savoir qui on est, ce que l'on veut faire de notre vie, quels sont nos objectifs (spoiler: c'est pas toujours plus facile à 30 ans ou 60 ans). Pourtant, vous devez certainement déjà avoir des pistes, des brides d'idées, des choses qui vous parlent plus que d'autres, des centres d'intérêts ou des sujets qui vous font vibrer. C'est tout cela qu'il va s'agir d'explorer pendant cet été, non pas pour les inscrire dans le marbre, mais pour commencer à défricher le terrain. Ces éléments prennent du temps à faire remonter, et les laisser maturer pendant plusieurs semaines/mois vous permettra ensuite d'en distiller l'essence, qui apparaîtra encore plus clairement au moment du concours et devant les jurys. 

Voici une petite liste, non exhaustive, de questions auxquelles vous pouvez commencer à répondre pour entamer cette vaste aventure qu'est l'introspection. Répondez-y le plus sincérement possible, sans jugement, sans peur, en suivant votre intuition.

- Qui êtes-vous ? Quelles sont vos qualités et vos défauts ? (question classique en oral de motivation)

- Qui voulez-vous devenir ? Comment imaginez-vous votre vie dans 5 à 10 ans ? Laissez libre cours à votre imagination, sans tabou et sans autocensure, sans peur, et sans limite. 

- Quelles sont vos plus grandes réussites ? De quoi êtes-vous le.la plus fier.e ? (il n'y a pas de petite victoire).

- Quels sont vos centres d'intérêts ? Dans quelle(s) activité(s) pouvez-vous vous perdre sans voir le temps passer ?

- Quelles personnalités actuelles, historiques, réelles ou fictives admirez-vous, et pourquoi ?

- Qu'est-ce qui vous tient à coeur ? Dans quel domaine voudriez-vous avoir de l'impact ?

- Qu'est-ce qui vous révolte ? 

- Pourquoi Sciences Po vous intéresse ? Qu'est-ce que cela représente pour vous ?

Ce dialogue doit d'abord avoir lieu entre vous et vous-mêmes, mais rien ne vous empêche d'en discuter avec vos proches, sur la route des vacances, au bord de la plage/de la piscine ou en randonnée. Lorsque l'on est perdu.e, il est souvent utile de demander à ceux qui nous connaissent le mieux de nous aider à en savoir plus sur nous même. Veillez simplement à ne pas prendre des choses qui ne vous parlent pas, qui ne résonnent pas avec vous, qui ne vous appartiennent pas. Vos parents, vos amis, votre copine/copain ne sont pas vous, et le jury, c'est vous qu'il veut voir. 

Prenez le temps de faire cet exercice durant l'été, sans vous mettre la pression, sans chercher à avoir toutes les réponses. Laissez la porte ouverte à toutes les idées, notez ce qui vous passe par la tête, laissez reposer, revenez-y régulièrement. Et on vous fait une confidence: c'est travail qui vous accompagnera (probablement) toute votre vie. On s'y adonne nous-mêmes régulièrement.

"Vous savez, je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise culture générale" Otis, le scribe (presque)

Le développement de la culture générale: Ah, la culture générale. La fameuse. Celle qui fait peur, qui attire, qui impressionne. Celle qu'on aimerait avoir, et dont on ne voit jamais le bout.

Alors disons-le tout de suite: vous n'avez pas assez de culture générale. Nous n'en avons pas assez. Personne n'en a assez. Personne n'en aura jamais assez. Et c'est tant mieux ainsi. Car au fond, qu'est-ce que la culture générale ? C'est le résultat de la curiosité. Et, n'en déplaise au vieux diction populaire, la curiosité est la plus grande des vertus. N'abandonnez jamais votre curiosité, cultivez-la, développez-la, nourissez-la. C'est une source intarissable de découvertes, et de joie. La culture générale n'en est qu'une conséquence. 

"Oui mais quand même, comment on peut améliorer notre culture générale, nous pauvres hères perdus dans cet océan de savoirs, screugneugneu ?" Eh bien en suivant votre curiosité, cher.e.s ami.e.s. 

La coupure estivale est une formidable occasion d'aller explorer vos centres d'intérêts.

On a bien dit vos centres d'intérêts, pas la liste des 100 livres à avoir lus" (sauf si la littérature c'est votre dada, et que vous êtes curieu.x.se de découvrir les 100 livres qu'il faut avoir lus dans sa vie selon Télérama) ou bien "les ouvrages indispensables pour réussir le concours de Sciences Po" selon tel ou tel péquin qui a dressé une liste un jour en se réveillant. Attention, on ne dit pas que ces listes, que l'on trouve de partout sur Internet, ne comprennent pas des livres ou des informations intéressantes, et qu'il est fondamentalement inutile d'aller les consulter. Il nous est arrivé d'en commettre une ou deux par le passé. Mais le principal résultat de ce genre de listes de lecture, c'est souvent de mettre une bonne grosse pression et au final de se sentir inhibé.e et écrasé.e. devant la masse de choses à lire/voir/écouter/découvrir.

"Mais, mais mais, mais, mais, alors comment qu'on fait ?"

Eh bien vous partez de vous. Qu'est-ce qui vous plait ? Qu'est-ce que vous avez envie d'approfondir cet été ?

Vous êtes passionné.e par les questions de genre et de féminisme ? Regardez des films sur les questions de genre et de féminisme, lisez Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, mais aussi la série de BDs "Culottées" de Pénélope Badgieu. 
Vous êtes passionné.e de géopolitique ? Lisez et écoutez Bertrand Badie ou Tout empire périra de Jean Baptiste Durosselle, mais regardez aussi des Dessous des Cartes sur Arte, ou la série Le Bureau des Légendes sur Canal +.

Bref, vous l'avez compris: trouvez ce qui vous parle à vous, explorez, soyez curieux.se, et surtout, surtout, maintenez l'envie et la joie. On ne retient rien sur le long terme par obligation.

Pour vous aider, on a développé (et on continue de le faire), une base de données interactive qui vous permet de rechercher, en fonction de vos centres d'intérêts, des références culturelles: c'est disponible ici. 


"Oui, mais à ce compte là, tout est de la culture générale ?" et son corollaire  "Est-ce qu'il n'y a pas des choses qui sont plus de la culture générale que d'autre" 

Short answers: oui et non.

Long answers: tout est potentiellement intéressant, peut permettre d'approfondir ses connaissances et être matière à réflexion. 

Reprenons notre exemple sur le féminisme: Le Deuxième Sexe est considéré comme l'un des textes fondateurs du féminisme en France et dans le monde. C'est un "incontournable", même si on déteste cette expression. Oui mais voilà: Le Deuxième Sexe, c'est un énorme pavé de 1072 pages, publié en 1949, donc dans une langue qui a depuis bien évolué. Et je suis prêt à parier que 90% des personnes qui se réclament féministes ne l'ont pas lu (moi le premier). A l'inverse, la série de BDs "Culottées" de Pénélope Badgieu, qui propose des portraits de femmes luttant pour leur émancipation, est assez récente, bien plus facile d'accès, a reçu plusieurs prix et a même été adaptée en série animée sur France TV. Son impact direct pour diffuser les valeurs féministes dans la société actuelle est probablement bien plus important que Le Deuxième Sexe de Beauvoir. Est-ce un "incontournable", qu'il faut "absolument" avoir lu pour avoir une "bonne culture générale" ? Probablement pas. Est-ce que cela permet de parler du féminisme, des rapports de genre, du patriarcat, de l'importance de la culture populaire pour la diffusion des valeurs et du pouvoir émancipateur de la culture ? Absolument. 
Les deux oeuvres ne sont pas comparables, et pourtant elles ont toutes les deux de l'importance dans le domaine, elles font toutes les deux parties de la "culture générale" sur le féminisme, même si elles n'ont pas (du tout) la même portée historique et culturelle. 

Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise culture générale. Il y a celle que l'on a, que l'on développe, et surtout celle qui nous permet de comprendre le monde et d'interagir avec les autres. Donc profitez de cet été pour lire, regarder, écouter, voir, découvrir des choses qui vous plaisent, qui vous parlent, qui satisfont votre curiosité, qui vous font réfléchir et avancer sur des thématiques importantes à vos yeux. Si cela passe par des "classiques", des "incontournables" ou des "à lire absolument", grand bien vous fasse. Si ce n'est pas le cas, grand bien vous fasse aussi. Et n'oubliez pas: "la culture, c'est comme la confiture: moins on en a, plus on l'étale". 

Le mot de la fin

L'été, ce n'est donc pas encore le moment travailler l'analyse d'image, la rédaction de votre essai (pour Paris), ou les questions contemporaines (pour le Concours commun), ni ficher quoi que ce soit. L'été, c'est le moment d'apprendre à vous connaître, de cultiver votre intérêt et votre motivation pour Sciences Po, et à développer une culture générale qui vous plaît, vous ressemble, et vous fait du bien. 

Le reste peut attendre (pas trop non plus, mais au moins jusqu'à septembre).